Notre victoire contre toute attente

Je suis revenue de Sotchi en compagnie de mes coéquipières le 25 février dernier. L’accueil que l’on nous a été réservé était magnifique et touchant. Des gens de partout au Canada nous ont répété que c’était la plus grande partie de hockey qu’ils ont vue à jour, et l’ont même comparé à dernière partie de la Série du siècle entre le Canada et l’Union soviétique en 1972. Le but de Marie-Philip a fait écho partout au Canada, la preuve de l’effet rassembleur de ce sport dans une nation. C’est son plus grand pouvoir et sa plus grande beauté. Et nous ne commençons qu’à comprendre tout ce que nous pouvons accomplir.

La soirée précédent notre finale olympique, nous avons regardé Kaillie Humphries et Heather Moyse faire une remontée inattendue pour décrocher une deuxième médaille d’or olympique. Nous avons criée durant leur descente, et durant la dernière, celle des Américaines, qui n’ont pas pu reproduire la conduite presque parfaite de Kaillie. Quand elles ont gagné, nous avons sauté de joie comme si nous avions, nous aussi, gagné la médaille d’or. Le lendemain, nous avons reçu une note écrite par Heather. C’était une prophétie de notre destin. La note disait … « Il y a des hauts et des bas dans chaque course ou match, mais nous sommes la preuve que si vous continuez à croire en vos possibilités, les résultats peuvent être en or. Cette partie vous appartient ! La glace est à vous ! Battez-vous jusqu’à au tout dernier moment!”

Je conserverai cette lettre éternellement. J’ai gardé les mots inspirants que Cassie Campbell avait écrits à l’équipe avant les finales olympiques de 2002 et 2006. Et comme j’étais tout à fait convaincue que nous étions prêtes pour ce moment, j’ai rédigé une note à l’équipe le soir avant la finale.

Voici une partie de ma lettre :

« Nous sommes prêtes ! Je crois en notre préparation, dans toute l’adversité que nous avons traversé qui nous a rendues plus fortes. Notre équipe est faite de personnes qui sont prêtes à tout. Nous avons vécu toutes les situations possibles et nous avons trouvé une façon de franchir tous les obstacles qui ont été mis sur notre route !

Demain ne sera pas différent, le podium est réservé aux Braves, nous souffrirons. Nous devrons jouer avec un désespoir maîtrisé ! Et quoi qu’il arrive, nous n’arrêtons jamais de nous battre ! Nous continuerons à avancer dans l’unité, vague après vague ROUGE ! Nous avons l’attitude de ne jamais abandonner !

Nous avons été là l’une pour l’autre jusqu’au fil d’arrivée tellement de fois ! Nous nous somme prouvées que nous avons toujours tellement plus à donner, que nous sommes capable de tout !

C’est notre dernière partie ensembles … Faisons de cette partie un grand moment de fierté dont on se souviendra pour toujours ! »

Je n’ai pas besoin de mentionner que la partie n’a pas débuté aussi bien que prévu. Après les deux premières périodes, en désavantage d’un but, nous nous sommes rappelé que nous avions fait un revirement en troisième période du match préliminaire pour l’emporter 3 à 2. Tout au long de la saison, la troisième période a été la meilleure. Nous savions que nous étions en condition pour performer durant 60 minutes, et plus si nécessaire.

Mais avec un écart de deux buts contre une équipe américaine forte, la chance semblait nous avoir quittées, avec moins de quatre minutes avant la fin de la partie. Nous sommes restées calmes et concentrées sur le banc, nous encourageant et se donnant autant d’énergie que possible. Nous étions nerveuses à l’intérieur mais nous n’allions pas le montrer, et laisser tomber avant la dernière seconde.

Le but de Brianne Jenner était encourageant et énergisant. Nous avons ensuite constaté que les déesses du hockey étaient de notre côté quand, après une maladresse de l’arbitre, la rondelle a roulé et frappé le poteau. Du banc où j’étais placée, la trajectoire indiquait qu’elle allait entrer dans le but. Mais la rondelle était de côté, et comme une pierre de curling, elle s’est mise à tourner vers la gauche. Tout le monde retenait son souffle. Il aurait été tellement injuste de terminer la partie de cette façon. Nous avons toutes crié quand nous avons vu la rondelle frapper le poteau. Et l’espoir est revenu quand nous avons réalisé que nous étions toujours dans la partie. J’ai eu l’impression que nous étions destinées à compléter notre revirement. Ça nous a permis d’y croire davantage.

Nulle autre que Marie-Philip Poulin ne méritait d’égaliser la partie d’une manière aussi dramatique avec 55 secondes à jouer ! Les joueuses sont devenues folles de joie, sautant et s’étreignant sans arrêt !

Dans le vestiaire après les trois périodes, nous étions excitées et nous sentions que nous avions tout le momentum nécessaire. Je n’ai jamais vu un groupe aussi déterminé à gagner. Il y avait un mélange de confiance et de certitude que nous pourrions réussir en temps supplémentaire. Quand Poulin a marqué, sur une belle passe de Laura Fortino, tout semblait surréel. J’ai encore l’impression de vivre un rêve aujourd’hui.

Ce que les gens ignorent de notre héroïne, Marie-Philip Poulin, c’est qu’elle s’est blessée tôt cette saison. Lorsqu’elle est revenue au jeu après une longue réadaptation, a ré-aggravé immédiatement sa blessure. Ce sport peut être parfois cruel. Elle n’a pas été capable de jouer pendant plusieurs mois. Mais avec une détermination implacable, elle s’est entraîné et a suivi son programme à chaque jour, avec l’espoir de réussir sa guérison cette fois-ci. Et c’est ce qui s’est passé, elle est retournée au jeu plus forte que jamais tout en gérant la douleur résiduelle. Elle a mené notre équipe par l’intensité de son jeu et le calme qui permet à quelques individus dans ce monde de marquer les points les plus importants. Elle mérite définitivement une médaille de courage, ainsi que Meaghan Mikkelson, qui a joué la finale avec une fracture à la main.

Je dois admettre que cette année a été si difficile physiquement et émotionnellement, que je me suis surprise à questionner mon amour du hockey pour la première fois de ma vie. Ensuite, j’ai réalisé que j’avais toujours la passion et mon énergie est revenue. L’amour était toujours là. Notre saison a été parsemée d’obstacles, de changements, de blessures et de plus de défaites que de victoires. Le grand Peter Jensen, notre psychologue sportif, a souvent répété « la seule certitude dans la vie est le changement. Lâchez prise. » Nous avons le choix de résister, ou d’accepter ce que nous ne pouvons changer et d’avancer. Mais tout au long de cette saison d’adversité, ce qui ne peut être mesuré est la résilience que nous avons acquise, et qui est devenue un catalyseur de notre succès. En cours de notre préparation, le slogan de l’équipe est devenu L’unité dans l’adversité. Il témoignait de notre cheminement comme équipe. Notre logo est une pièce de casse-tête, l’image que chaque membre est un lien important dans la force et le succès de l’équipe. Parce que chaque personne a joué sont rôle à perfection, notre équipe n’était pas inébranlable !

Le départ soudain de notre entraîneur Dan Church a été un choc difficile à gérer. Nous avions une bonne longueur d’avance sur les Américaines avec un entraînement boot camp d’un mois en mai et en débutant la centralisation un mois plus tôt qu’elles. Nous avons débuté notre préparation confiantes, remportant les trois premières parties contre les Américaines. Mais une période creuse a suivi, l’inhabilité de marquer, les blessures, le désespoir, et ce qui semblait être une fatigue insurmontable. Les défaites ont engendré le chaos et le changement d’entraîneur-chef. Je suis reconnaissante de ce que Dan a apporté à l’équipe. Il était avec nous pendant la majeure partie de notre préparation. Ce qui m’a fait réaliser que ma plus grande contribution à l’équipe ne serait pas nécessairement de compter des buts mais d’être un bon leader.

Kevin Dineen nous a apporté une nouvelle énergie ; un nouveau départ. Il a eu la sagesse de ne pas regarder en arrière. Il nous a propulsées vers l’avant. Il comprenait l’importance de créer une relation de confiance très solide avec les entraîneures adjointes Lisa Haley, Danielle Goyette et tout le personnel. Son expertise provient de son rôle d’entraîneur et de joueur dans la LNH, notamment comme capitaine. Ce sont des connaissances qui ne s’enseignent pas. Kevin est un leader charismatique que les gens adorent entendre parler. Il a dirigé l’équipe avec passion et courage. Il ne se souciait pas des réalisations passées des joueuses. Nous devions faire nos preuves à nouveau. Nous devions mériter chaque marque de reconnaissance. Il a ébranlé notre zone de confort, nous a lancé de nouveaux défis. Il a exigé que chaque personne soit responsable et s’engage entièrement dans le succès de l’équipe. Il nous a demandé de laisser notre égo à la maison. En fin de route, Kevin, Danielle, Lisa et notre personnel ont bâti une équipe unie et prête à se mesurer à n’importe qui. Nous savons que Kevin ne sera pas avec nous de façon permanente. Notre ambition était de décrocher l’or olympique ; la sienne de remporter une Coupe Stanley! Je lui souhaite les deux! Prochainement, il immortalisera les moments passés avec nous en se faisant tatouer les anneaux olympiques, ce qui représentera une autre victoire pour les joueuses !

Je sais très bien que notre victoire repose en partie sur un concours de circonstances improbable. Et même si les joueuses canadiennes et américaines prennent plaisir à se détester, je ne peux pas imaginer l’agonie qu’elles ressentent. Elles étaient, après tout, à un petit pouce de l’or. C’était la neuvième partie entre nos deux formations et chaque équipe avait remporté quatre matchs. Pour les athlètes, ce n’est pas qu’un jeu. C’est ce qui nous pousse à chaque jour à nous dépasser. Au hockey, on gagne l’or et on perd l’argent. En hockey féminin, seul l’or semble acceptable. La douleur ne s’estompera pas de si tôt pour elles, mais la vie continue. J’espère qu’un jour, elles pourront aussi célébrer la fierté de leur cheminement olympique.

Un moment spécial depuis notre victoire a été de voir le nombre incroyable de vidéos montrant la réaction des gens suite au but de Poulin. Une preuve que le sport peut soulever une nation! Même aujourd’hui, les Canadiens et Canadiennes me parlent encore de la victoire de 2002 à Salt Lake City. Nous étions résilientes et calmes tout au long des 13 punitions qui nous avaient été allouées. De plusieurs façons, cette saison ressemblait à notre préparation pour 2002. Parsemée d’adversité et couronnée d’un triomphe contre toute attente, au moment le plus important. Et lorsque nous pensions que notre aventure ne pouvait pas être meilleure, sur le chemin du retour de Sochi, nous avons rencontré deux héroïnes de l’équipe canadienne de soccer, Christine Sinclair et Karina Leblanc. Je n’oublierai jamais la demi-finale contre les Américaines aux Jeux olympiques de Londres. Plusieurs diront que la victoire leur a été volée. Mais on se souviendra d’elles pour la grâce avec laquelle est ont géré cette injustice.

Maintenant, tout le monde me demande si je prends ma retraite. Même après quatre Jeux olympiques, j’aime toujours jouer. Je pense à la chair de poule que j’ai ressentie quand Poulin a marqué, il n’y a rien au monde qui me ferait vivre ces émotions et le rush d’adrénaline qui l’accompagne. Comment une personne peut-elle se défaire d’une telle addiction? J’en veux encore et encore! On dit que ce n’est qu’un jeu (« it’s just a game »), mais quand on l’a pratiqué toute sa vie, on commence à associer sa valeur personnelle à ses réalisations, et à définir qui on est en fonction de ses performances. Est-ce juste un jeu quand quelqu’un y investit 25 ans de sa vie? Combien d’athlètes passent à une vie normale quand tout ce qu’ils ont vécu sort de l’ordinaire? Nous passons régulièrement de l’euphorie à la désillusion. Je crois vouloir continuer à jouer jusqu’à ce qu’on me retire mon chandail de sur le dos. J’ai le hockey dans le sang et je sais qu’il ne me quittera jamais.

Je sais que les 13 millions de Canadiens qui ont regardé la finale de Sotchi se souviendront toujours que notre équipe a prouvé, contre toute attente, qu’il faut toujours garder espoir. Je rêve que des milliers de jeunes filles voudront apprendre à jouer au hockey ou à un autre sport. J’espère que les parents les appuieront dans leur choix. J’aimerais croire que c’est le plus grand héritage que notre équipe laissera. Le sport m’a tellement apporté! Il m’a appris les notions de confiance en soi, d’esprit d’équipe, de leadership et de persévérance. Le sport n’aurait pas pu mieux me préparer à affronter les moments difficiles de la vie. La pensée que nous pourrions avoir contribué à créer un meilleur avenir pour jeunes athlètes féminines est incroyable.

Il n’y a jamais eu de meilleur moment pour la LNH pour nous aider à créer notre LNHF. Il est temps d’offrir aux joueuses de hockey de la planète une place pour jouer, afin que des grandes athlètes comme la gardienne finlandaise Nora Ratty ne prennent pas leur retraite à 24 ans parce qu’elles ne peuvent pas payer leur loyer! Il est temps de donner aux jeunes filles des modèles féminins autres que Miley Cyrus! Nous devons leur transmettre le rêve qu’elles peuvent grandir et remporter la Coupe Clarkson de la LCHF, notre propre Coupe Stanley. La NBA, via la WNBA, continue d’offrir cette chance aux meilleures joueuses de basketball. Je n’ai aucun doute que la LNH a le pouvoir et les ressources pour créer des opportunités égales pour tous. J’espère vivre assez vieille pour voir ce projet se réaliser! M. Bettman, nous avons besoin de votre appui pour faire grandir la Ligue canadienne de hockey féminin. Je joue depuis 16 ans sur l’équipe nationale, jumelant l’entraînement au travail pour survivre financièrement. J’ai comme récompense une passion toujours grandissante pour le hockey, et une détermination à contribuer à la croissance du hockey féminin pour que les joueuses de la génération de Marie-Philip Poulin aient la chance de gagner leur vie en jouant au hockey, et en devenant meilleures qu’elles n’auraient jamais imaginé.

Merci au Canada pour son appui inconditionnel durant les Jeux olympiques ! Nous sommes si fières de représenter le Canada et nous sentons les encouragements de tout le pays! À toutes mes coéquipières et au personnel, merci beaucoup, nous avons réussi à gagner d’une façon si mémorable. Le lien qui nous unit sera éternellement spécial. Merci à mon amie Charline Labonté avec qui j’ai vécu quatre Jeux olympiques et dont l’amitié m’a soutenue à travers les moments difficiles. Sa façon de mettre l’équipe en premier et son humanité m’inspire toujours à être une meilleure coéquipière et leader. Dernièrement, j’aimerais remercier ceux qui ont fait la plus grande différence dans ma vie, mes parents. J’étais très heureuse de pouvoir partager ce moment avec eux ! Mon père a assisté aux Jeux olympiques en personne pour la première fois ! Mes parents croyaient au rêve olympique bien avant moi. Je suis tellement reconnaissante pour les nombreux sacrifices qu’ils ont faits pour me permettre de réaliser mes rêves.

CaroSochi Gold Medal Celebrations